L’Autorité de la concurrence favorable à une réforme des quotas de pêche

L’essentiel
La coopérative maritime Cobrenord a sollicité l’avis de l’Autorité de la concurrence sur le mécanisme d’attribution des quotas de pêche. Dans l’avis qu’elle rend aujourd’hui, l’Autorité estime que la gestion collective des quotas telle qu’elle est pratiquée en France est inefficace et facteur de risques concurrentiels. Elle propose l’instauration de quotas individuels directement attribués aux producteurs, à l’instar de la gestion des quotas de CO2.

La nécessité d’une régulation des volumes

Nous avions déjà évoqué la pêche respectueuse, également concernant l’action de Carrefour à ce sujet. Les stocks de poissons constituent une ressource limitée, commune à l’ensemble des producteurs. Si l’accès à la ressource est entièrement libre, l’incitation de chaque pêcheur est de pêcher le plus possible, le plus rapidement possible, afin de s’approprier la quantité la plus importante de la ressource tant que le stock de poissons existe : c’est le phénomène de la « course aux poissons ». À moyen terme cependant, l’intérêt collectif des pêcheurs est que la ressource soit gérée le plus rationnellement possible, afin de maintenir les conditions de renouvellement du stock.

L’enjeu de la régulation est donc de permettre aux acteurs de développer une activité économique efficace dans le cadre d’une nécessaire limitation de l’offre.

Le fonctionnement des quotas de pêche

La pêche des principales espèces de poissons en Europe est soumise à des quotas fixés par l’Union européenne afin de permettre une meilleure gestion de la ressource halieutique. Ces quotas correspondent aux quantités maximales de poissons d’une espèce pouvant être pêchées sur une zone  et une période délimitées.

En France, la gestion des quotas attribués par la Commission européenne est, dans son principe, collective et gratuite : les sous-quotas étant attribués gratuitement, ils ne peuvent être monétisés. Les sous-quotas nationaux sont alloués soit directement aux producteurs, soit aux organisations de producteurs (OP) qui ont la charge de répartir ces sous-quotas entre leurs membres.

La répartition initiale entre producteurs et OP est principalement fonction du critère des « antériorités figées », déterminées d’après le niveau de capture des navires durant les années de référence 2001 à 2003. Les OP répartissent ensuite les sous-quotas entre les navires selon les modalités de leur choix. Dans le cas des espèces « tendues » (dont le sous-quota ne répond pas à l’intégralité de la demande des pêcheurs), elles tendent à utiliser également le critère des antériorités figées pour répartir entre leurs membres les limitations individuelles de capture.

Les inefficacités engendrées par le système français

La prise en compte des antériorités figées pour déterminer l’accès à la ressource des navires entraîne une double conséquence :

– en premier lieu, elle introduit, de façon automatique, une inégalité entre les OP, ainsi qu’une inégalité « inter-générationnelle » à l’intérieur des OP, entre les producteurs détenant des navires à fort taux de captures durant ces années et les autres producteurs entrés plus récemment sur le marché. Cette situation ne favorise donc pas les opérateurs, ni les OP les plus efficaces ;

– en second lieu, elle entraîne une valorisation, implicite mais réelle, de ces antériorités, à l’occasion de la cession des navires. Les antériorités étant transférables, les pêcheurs vont préférer l’achat de navires anciens, mais bien dotés en antériorités, à l’investissement dans un bateau neuf, pourtant moins consommateur de pétrole et mieux adapté à l’évolution de la pêche.
Ainsi, le système, pourtant gratuit dans son principe, favorise la création d’un marché des antériorités, crée une rente au profit des navires les plus anciens, et entraîne un vieillissement de la flotte.

Les risques concurrentiels identifiés par l’Autorité

Le système de répartition des quotas comporte également des risques de nature concurrentielle :

  • en premier lieu, il existe un risque de discrimination à l’égard des nouveaux entrants qui auraient besoin d’adhérer à une OP pour accéder à la ressource. L’adhésion de navires pas ou peu dotés en antériorités implique, en effet, pour une OP, de partager sa dotation globale entre un plus grand nombre de membres, sans augmentation corrélative de sa dotation. Ce risque est accru par le fait que OP ne sont tenues ni d’accepter une demande d’adhésion, ni de motiver leur refus ;
  • en second lieu, la répartition des sous-quotas entre les membres d’une OP selon le critère des antériorités figées permet aux navires bien dotés de bénéficier d’un avantage concurrentiel indu. Le critère de différenciation entre navires est, en effet, fonction de leur activité passée, au lieu de reposer sur des considérations objectives, économiquement justifiées, et atteignables par tout opérateur selon ses mérites propres.

Les recommandations de l’Autorité

À la suite de la réforme de la gestion des quotas de décembre 2014, l’Autorité invite les pouvoirs publics à poursuivre le processus de réforme pour un système de gestion efficace et cohérent.

La solution la plus efficace : les quotas individuels transférables

Afin de réconcilier les impératifs environnementaux, économiques et concurrentiels, l’Autorité est favorable à la mise en place de quotas individuels transférables (QIT), à l’instar de la gestion des quotas de CO2, au moins pour les espèces tendues.

Ce système permettrait aux pêcheurs de se voir attribuer, à titre individuel, le droit de pêcher une quantité déterminée de poissons sur une période donnée. Les producteurs pourraient adapter leur outil de production à leurs droits et céder les quotas non utilisés à des concurrents. La mise en place des QIT entraînerait ainsi la disparition de la marchandisation opaque des antériorités et inciterait les producteurs à investir dans un outil de production moderne.

En supprimant la prise en compte d’antériorités figées sur une base ancienne et en retirant aux OP leur place d’intermédiaires obligés dans la gestion des sous-quotas,  l’instauration de QIT contribuerait, de plus, à remédier aux risques concurrentiels de discriminations entre opérateurs.

Cette réforme, mise en place avec succès dans de nombreux pays, peut s’accompagner de mesures évitant une excessive concentration pour préserver la pêche artisanale.

Une solution alternative : une gestion collective basée sur une répartition objective, transparente et non discriminatoire

Si le principe d’une gestion collective et gratuite devait être maintenu, l’Autorité estime nécessaire de revoir le système en profondeur afin de le rendre efficace et non discriminatoire. Elle propose des mesures concrètes devant permettre :
  • une mutualisation des quotas entre les OP en incitant aux fusions de ces OP, de manière à ce qu’il en existe une par façade maritime, pour mettre fin aux inégalités, et favoriser une gestion pluri-espèces permettant notamment de mieux absorber les réductions de quotas ;
  • une adaptation progressive des années de référence, afin de substituer les années 2011-2013 aux années 2001-2003 pour tenir compte des évolutions de marché ;
  • un renforcement de la transparence des conditions d’accès aux OP pour les nouveaux entrants afin que des conditions d’accès objectives, transparentes et non discriminatoires leur soient garanties ;
  • enfin, un retour aux principes d’une gestion véritablement collective par les OP qui devraient progressivement renoncer à attribuer les limitations individuelles de pêche sur la base des antériorités figées.

L’État pourrait favoriser ces évolutions en utilisant la ressource de la réserve nationale d’antériorités, qui pourrait notamment être abondée par le produit des cessions de navires et sorties de flottes.

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