L’ex-PDG de Casino, Jean-Charles Naouri, connaîtra le 29 janvier 2025 la décision du tribunal correctionnel de Paris pour des soupçons de « corruption » et de « manipulation de cours en bande organisée » aux côtés de trois anciens cadres et de l’éditeur de journaux financiers Nicolas Miguet.
Pour mieux comprendre la position Xavier Kemlin, voici les propos qu’il aura tenu lors de l’audience de la Partie Civile du 15 octobre 2025.
« Le combat entre Jean-Charles Naouri et Xavier Kemlin – petit-fils de Geoffroy Guichard, fondateur de Casino en 1898 – dure depuis 1997 » précise un journaliste de Challenges. Nous dirons, pour notre part, que cette intervention permet de mieux comprendre l’antagonisme d’un capitalisme à vision familiale et créatrice du Groupe Casino avec un autre type de capitalisme, financier cette fois, concourant à son affaiblissement.
On s’interrogera également sur les propos tenus à cette occasion concernant la sincérité des « comptes 2022 totalement fallacieux et les escroqueries au jugement au tribunal de commerce concernant la mise en procédure de sauvegarde des différentes sociétés ». Le Parquet National Financier ne devrait-il pas se saisir de lui-même de la question ?
En tout état de cause, Xavier Kemlin aura déposé une nouvelle plainte auprès du PNF et de l’AMF à ce propos le 3 novembre, à l’encontre de Jean-Charles Naouri, du Groupe Casino, du Conseil d’administration et des Commissaires aux comptes concernés…
Intervention de Xavier Kemlin
Madame la Présidente [Bénédicte de Perthuis],
Mesdames, Messieurs les membres du Tribunal,Il y a quelques jours, vous avez eu la bienveillance de m’interroger, et je vous en remercie sincèrement. Aujourd’hui, je souhaite vous apporter des compléments et des précisions aux éléments déjà évoqués. Je ne vais pas vous raconter trente années de l’histoire du Groupe Casino en dix minutes, mais une vision d’ensemble, qui je l’espère, vous permettra de mieux comprendre comment nous en sommes arrivés là.
J’ai choisi cette approche, car il me paraît essentiel de replacer les faits dans leur contexte global pour en saisir toute la portée, avec un fil directeur nous ramenant systématiquement à la période qui vous intéresse. Malgré un préjudice personnel important et trois chimiothérapies, je ne réclame aujourd’hui qu’un euro symbolique. Ce n’est pas une revanche que je recherche, mais une reconnaissance claire des faits et des responsabilités, ainsi qu’une base solide pour les futurs procès à venir.
Pour vous éclairer, je vous présenterai successivement trois périodes clés qui, à mes yeux, illustrent parfaitement le rôle joué par Monsieur Naouri et ses collaborateurs dans cette affaire.
- La première période sera relativement brève et je la qualifierai volontiers de période de « l’arroseur arrosé », l’avant et l’après 1992, où Monsieur Naouri possédait 28% du capital de Casino, à la suite d’un apport de titre Rallye.
Monsieur Naouri a été l’un des principaux artisans de la dérégulation des marchés financiers en France.
C’est notamment, grâce à son influence que la vente à découvert a pu prospérer. Il semblerait d’ailleurs que l’AMF ait totalement dédouané Muddy Water. Ironie de l’histoire : celui qui a contribué à ouvrir la voie à ces mécanismes financiers s’en plaint désormais devant les tribunaux. Ce sont ces mêmes vendeurs à découvert qui ont eu l’outrecuidance de mettre un grand coup de projecteur sur ses propres turpitudes, mais il suffisait aussi de lire tout simplement le Financial Times.- La deuxième période commence en 2005, avec l’arrivée réelle aux commandes de Monsieur Naouri à la tête du Groupe Casino (de 1988 à 2005, il était mis en examen pour délit d’initié, suite au raid raté de la BNP sur la Société Générale). C’est le début d’une course sans fin, non pas animée par une réelle ambition de développement économique, mais motivée par un seul objectif : assurer le remboursement de ses propres dettes, issues d’une pyramide financière de type Ponzi, ce que Fabienne Caron, alors analyste de la distribution chez Kleper Chevereux, qualifiait de « château de cartes de Naouri ». Je rappelle qu’avant même la tentative d’OPA sur Promodès en 1997, ces montages financiers étaient déjà alors alambiqués et je ne souhaitais pas que ma famille soit son associé. Dès cette époque, son ambition était claire : il voulait devenir le « Bernard Arnault » de la grande distribution. Mais dans les faits, loin d’incarner une figure de visionnaire ou de bâtisseur, il s’est révélé être le fossoyeur du Groupe Casino. Monsieur Naouri s’est inséré dans une entreprise familiale structurée, dotée de ses valeurs, de ses équilibres internes et d’une culture d’entreprise héritée de quatre générations. Il a progressivement imposé une logique financière décorrélée du terrain, étrangère à la culture du commerce. Cette stratégie reposait sur des montages complexes, des niveaux d’endettement croissants et une communication savamment calibrée pour rassurer les marchés, tout en masquant la réalité de la situation. Pour comprendre cette dynamique, il faut rappeler la nature même du Groupe Casino à l’époque : une commandite par actions. Les gérants étaient nommés à vie. En cas de défaillance, le risque n’était pas seulement financier ; il mettait en jeu la pérennité même du modèle familial.
Les associés gérants étaient responsables ad vitam aeternam sur leurs biens propres de leur gestion, comme Michelin. A la clôture de l’OPA, Antoine Guichard après m’avoir donné son accord pour le rapprochement avec Promodès a retourné sa veste dans la nuit, et a fait définitivement rentrer le loup dans la bergerie. Mais à sa décharge, il avait eu la lucidité de reconnaître qu’aucun membre de la jeune génération, dont je faisais partie, n’était alors en mesure de reprendre la présidence du groupe. Nous étions issus de branches familiales différentes, de formations complémentaires — polytechnicien, centralien, sup de co, et moi-même — mais aucun de nous n’était prêt à assumer, à trente ans, de droit divin, la direction d’un groupe aussi vaste. C’est dans ce contexte que Monsieur Naouri est entré par la grande porte chez Casino.
Je m’écarte ici légèrement du sujet, Madame la Présidente, mais vous comprendrez rapidement que c’est important pour ce qui nous intéresse : les liens de causalité dans cette affaire. Pour ma part, je suivais de très près l’évolution de la grande distribution. Dans le même temps, je constate combien la direction de Casino, sous l’impulsion de Monsieur Naouri, s’éloigne progressivement de la réalité opérationnelle. La grande distribution, ce sont plus d’une centaine de métiers, chacun nécessitant une connaissance fine et une maîtrise progressive de ses paramètres. Geoffroy Guichard, lui, avait une tout autre vision. Il avait institué un parcours exigeant pour les héritiers souhaitant entrer dans le groupe : trois années d’apprentissage des différents métiers, suivies de sept années de responsabilités opérationnelles, avant de pouvoir prétendre à un strapontin à la direction. C’est cet esprit de rigueur et de connaissance du terrain qui faisait la force du modèle historique de Casino. Comment peut-on prétendre piloter une telle entreprise, uniquement à travers des tableaux Excel et d’une logique seulement financière en imaginant des prix majorés pour des Parisiens qui n’ont pas les moyens de quitter la capitale le week-end ? C’est pourtant ce qu’a tenté de faire Casino à la même époque, sous la direction d’un « énarque paranoïaque » (terme repris par l’intégralité des personnes auditionnées pendant plus de trente ans) avec le résultat que l’on connaît : le mur de la dette. En 2005, le real brésilien est divisé presque par trois et provoque une première alerte. Le système des poupées russes et des poulies bretonnes se met à trembler, Rallye endetté à hauteur de 3 milliards d’euros doit faire face aux intérêts de sa dette par les dividendes de Casino ou des cessions d’actifs. Les prêts de Rallye sont alors garantis par des nantissements d’actions Casino ; Euris et Foncière Euris par des Rallyes ou des Casino et Finatis idem. Si le titre de l’action Casino baisse : appel de marge dite close d’arrosage. Mudduy Water s’engouffre dans la brèche. Baisse du cours, appels de marge, baisse du cours, appels de marge … jusqu’à la mise en sauvegarde de Rallye qui avait nanti 90% de ses titres Casino. Rallye aurait dû être mis en liquidation, mais les commissaires aux comptes et experts comptables ont accepté de ne pas exprimer la baisse réelle des titres dans les documents de référence, préférant attendre à chaque fois une année (décalage de l’escalier 92/83/ 70/40/1 euro).
Qui ment dans cette affaire ? la direction financière de Rallye, celle de Casino, les experts, ou le Kaiser ? Les banques, à qui on a donné les communiqués de presse en lecture avant de les communiquer au marché ? Et bien Madame la Présidente, ils se tenaient tous par la barbichette. Comment à la fin, peut-on justifier en 6 mois de diviser par 40 la valeur de Casino ? (Rapport Sogerm de 40 à 1 euros). Autre fait, In Vivo souhaitant racheter Casino demandait un audit sur l’endettement. Il lui a été impossible de l’avoir d’où son retrait. Encore une occasion ratée.
Le pilote voulait garder le manche. Monsieur Naouri, au contraire, a inauguré une ère d’endettement massif et de fuite en avant. Trois facteurs ont prolongé artificiellement la survie de son modèle : 1. Une communication financière fallacieuse et tronquée depuis 2013 ; 2. La baisse durable des taux d’intérêt sur une longue période ; 3. Le soutien abusif et prolongé des banques, en particulier de la BNP. Il n’a jamais remboursé un seul centime de ses emprunts : il refinançait sans cesse, repoussant les échéances, construisant une pyramide financière instable. Dans ce contexte, le Groupe Casino était présenté comme florissant : 60% de parts de marché à Paris, 30% ici, 20% là… Mais cette image flatteuse reposait sur des méthodes comptables fluctuantes et une communication financière volontairement opaque.
La réalité, que je vous expose aujourd’hui est tout autre : Monsieur Naouri a utilisé plus de X milliards d’euros de flux de trésorerie d’exploitation au profit de ses holdings, plutôt que de les allouer à l’activité économique de commerçant. Il tente de vous faire croire qu’il était un visionnaire, en affirmant qu’il avait anticipé la fin des hypermarchés. Pourtant, les faits contredisent totalement ce récit. En 2005, il a refusé d’échanger les hypermarchés Casino contre trois lots distincts : les supermarchés ATAC d’Auchan, les enseignes de proximité de Carrefour et les supermarchés frais de Cora. S’il avait véritablement été ce « visionnaire futuriste » qu’il prétend être aujourd’hui, il aurait saisi cette opportunité stratégique. En réalité, en matière d’anticipation de l’avenir de la distribution, il est bien loin de l’image qu’il cherche à projeter de lui-même : ce n’est qu’un calculateur froid, sans empathie, sans cœur, sans sourire, sans émotion, sans état d’âme. Au lieu d’avoir, comme notre famille, des rapports confraternels avec nos amis concurrents, cela n’a été que des rapports conflictuels, d’abord avec la famille Cam, puis la famille Baud, puis la famille Levy, puis la famille Bouriez, puis la famille Diniz et enfin la famille Moulin-Houzé. Casino ne pouvait pas se relever de tels combats, certes gagnants parfois, mais tellement loin de la philosophie de Geoffroy Guichard et de notre métier et qui ont fini par coûter plusieurs milliards d’euros.- La troisième période est celle qui, je le sais, retiendra particulièrement l’attention du Tribunal. Entre la faute et le préjudice, il existe un lien de causalité direct. Je considère cette période comme l’arbre qui cache la forêt. Elle est essentielle pour vous, mais n’est qu’un épisode d’un système beaucoup plus vaste, qui s’est mis en place méthodiquement au fil des années et a conduit à un trou cumulé de plusieurs milliards d’euros et des comptes faux et pourtant certifiés en 2022. Pour aborder cette période, permettez-moi de « zoomer » progressivement, à la manière de ce que j’appelle le survol de l’aigle. Partir d’une vision d’ensemble pour descendre ensuite dans le détail des événements précis. Comme je vous l’ai indiqué, cela fait plus de trente ans que je tire la sonnette d’alarme auprès de ma famille, puis du PNF, de l’AMF, de la haute autorité de contrôle des commissaires aux comptes et de l’autorité prudentielle des banques (voir tous mes courriers et plaintes depuis octobre 2018, en Recommandé doublé par e-mail, que l’AMF pourrait d’ailleurs produire, s’ils n’ont pas subi d’entrée un classement vertical).
En voici un exemple : M. Antoine Giscard d’Estaing (à l’époque directeur financier) et son bras droit ont été entendus par le parquet financier. Mais les enquêteurs leur ont-ils demandé les autres raisons de leur départ qui était accompagné d’un gros chèque ? Sans doute non.
Eh bien, Madame la Présidente, je vais vous en donner une des raisons. Une nouvelle fois, des méthodes peu orthodoxes sont employées, le Groupe a par exemple eu recours au service d’un commissaire aux apports complètement inconnu. Dont le site société.com me disait qu’il vient tout juste de créer sa structure, qu’il n’a aucun salarié, mais qui se permet de signer un rapport d’évaluation conduisant à une revalorisation significative de Casino, évaluée à plus de 6 milliards d’euros ! La substitution de la méthode de discount cash-flow à la bonne vieille méthode de valeur nette comptable vient opportunément justifier un gonflement des comptes. Au passage, je note que sans plus de cérémonie, dans le rapport d’évaluation, que l’on écarte, pour les besoins de calcul (la valeur d’utilité, selon la méthode du Discounted Cash-flow d’un revers de main), les valeurs boursières d’Exito en Colombie (contrairement à ce qu’écrit l’expert) et de GPA au Brésil, alors qu’elles contribuent indirectement de manière significative à la détermination de la valeur des titres géants holding BV.
Je note même que les valeurs sont incorrectes, si j’en juge les derniers cours de bourse. Voilà sans doute ce qui peut, en autre, expliquer le départ de M. Antoine Giscard d’Estaing et de M. Guillaume Humbert, son bras droit, à la veille de l’opération qu’ils refusaient de cautionner.- Par ailleurs, le chiffre d’affaires de Euris provenait-il uniquement des frais exorbitants facturés au Groupe Casino ? Oui ou non, les dividendes distribués par Euris à la famille Naouri depuis de nombreuses années existaient-ils que grâce à ses frais démesurés ? Sur 10 ans, nous avons pu reconstituer les ponctions diverses exercées par Monsieur Naouri et sa famille sur le Groupe, elles s’élèvent à plus de 100 millions ( Tableau versé dans la procédure civile).
Tous ces éléments ne constituent-ils pas un abus de bien social ?
Autre exemple, en 2017, on nous annonçait dans le document de référence de Casino, que Géant foncier BV valait 256 millions d’euros mais quelques temps après sur un autre document 684 millions. La période qui suit n’est pas au cœur du présent procès, mais elle donnera sans doute lieu à de nombreuses autres procédures à venir, notamment pour les comptes 2022 totalement fallacieux et les escroqueries au jugement au tribunal de commerce concernant la mise en procédure de sauvegarde des différentes sociétés. Je rappelle que la non mise en liquidation de Rallye, à l’époque, a empêché toute possibilité de sauver l’intégralité du Groupe Casino. Rallye ont été sanctionnés par l’AMF à hauteur de 25 millions d’euros, pour 11 publications fausses ou trompeuses, suite à mon signalement.
Dans le même temps, un rapport d’expertise (Sogerm) faisait état d’une valorisation de 200 millions pour la proximité, alors que Carrefour en proposait 700 millions.
Cette différence abyssale montre à quel point les évaluations étaient instrumentalisées et rémunérées grassement comme vous avez pu le constater la semaine dernière. Pendant toutes ces années, j’ai recueilli les témoignages de nombreux cadres ayant quitté Carrefour ou Casino. Certains ont perçu de très confortables indemnités, qui étaient en réalité l’argent des salariés, des investisseurs et des actionnaires. Notre argent. Le fait le plus marquant était le terme « paranoïaque », qui revenait systématiquement à chaque échange avec ces derniers. Les frais d’avocats ont également été faramineux. À un moment donné, pratiquement tout le barreau de Paris travaillait pour Casino. Il m’était alors impossible de trouver un avocat qui ne m’indique pas qu’il était en situation de conflit d’intérêts. Dans le même temps, Monsieur Naouri utilisait plus de X milliards d’euros de flux de trésorerie pour rembourser les dettes personnelles de ses holdings au détriment de la pérennité de l’activité du Groupe. Résultat : trop peu d’investissement dans les magasins, du matériel vétuste, de faibles revalorisations salariales, peu de formation et des prix de vente exorbitants. C’était la logique d’un montage pyramidal — une sorte de « Kaiser Ponzi » : emprunter pour acheter, sans rembourser le capital, parfois même sans payer tous les intérêts (l’anti Geoffroy Guichard).
J’ai été poursuivi en justice à deux reprises en diffamation et dénonciations calomnieuses, par Casino et Rallye. Mais au bout de deux ans, ils retiraient leur plainte, sans doute par peur de mes révélations au tribunal. C’est dans ce contexte que se déroule ce que j’ai appelé le « dîner de cons », ou plus exactement « le déjeuner de cons ».
L’objectif de Monsieur Naouri acculé était triple : 1. Gagner du temps, en entretenant l’illusion d’un plan crédible auprès du marché, de ses bailleurs de fonds et des petits porteurs ; 2. Détourner l’attention, en instrumentalisant certains acteurs, dont M. Miguet, M. Minc et M. Bompard ; 3. Faire croire à une OPA de Carrefour.
M. Miguet avait une bonne connaissance de la vente à découvert et une compréhension solide des dynamiques de marché. Il avait constaté que Monsieur Naouri était aux abois et qu’une mobilisation des petits porteurs pouvait faire remonter temporairement le cours de bourse du groupe, voire créer une opportunité en cas d’OPA. M. Miguet a proposé une idée de bon sens : regrouper les petits porteurs, renforcer la position de Casino face aux prédateurs et shorteurs, et éventuellement profiter d’une éventuelle OPA. On a entendu beaucoup de grands experts, mais Casino n’était pas OPEABLE. Mais là où il s’est trompé, c’est qu’il n’a pas compris la nature véritable de Monsieur Naouri. Ce dernier, surnommé « l’homme qui avait toujours un coup d’avance », n’a jamais eu l’intention de céder quoi que ce soit. Il a préféré, jusqu’au bout, écraser l’avion plutôt que de lâcher le manche, de peur aussi d’un audit géant du repreneur ou de son futur associé. C’est ainsi que s’est mise en place, plus tard, une manœuvre que j’ai appelée « la bande des trois » — Křetínský, Ladreit et Naouri lui-même. On prend les mêmes et on recommence. Ils montent un dossier destiné à tromper le tribunal de commerce, visant à l’effacement des petits porteurs, la nationalisation des pertes et la privatisation éventuelle de futurs profits. Je note que les documents des administrateurs judiciaires, dans notre procédure d’escroquerie au jugement, nous sont refusé. Alors même qu’il est évident que Rallye était en cessation de paiement bien avant le jugement du TC, ce que les faits ont confirmé plus tard. Le « déjeuner de cons » repose sur une mise en scène calculée : on fait miroiter à M. Miguet une grande campagne d’abonnements et des honoraires de conseil, et on lui donne des consignes à suivre. On distille habilement des rumeurs dans la presse, et on organise des fuites, ainsi que quelques réunions destinées à piéger les protagonistes. Je rapporte ici les propos de M. Naouri au sujet de Monsieur Alain Minc : « Je n’ai aucune confiance en lui ! Mais j’achète sa capacité de nuisance (d’où le déjeuner du 12 septembre)». Propos que m’a rapportés son ex-DG, qui est prêt à venir les confirmer sous serment, bien sûr. Le « pigeon » est dans la nasse. Les rumeurs se propagent, certains s’y laissent prendre (notamment M. Bompard) avant de comprendre trop tard la manipulation.Au terme de ce long exposé, vous l’aurez compris : ce dossier ne se résume pas à une simple opération de bourse ou à une querelle d’actionnaires. Il s’agit d’un système global, mis en place patiemment pendant des années, reposant sur l’opacité, les artifices comptables, la manipulation financière, la dissimulation et la corruption par un homme aux abois et sa cour. Dès lors, quelques centimes d’euros en moins sur le cours de bourse, comme l’AMF l’a exposé, peuvent faire exploser le dossier. Ce système a été construit par Monsieur Naouri et ses proches collaborateurs, avec la complicité active ou passive de nombreux acteurs : certaines banques, des autorités de contrôle dépassées ou silencieuses, un parquet en sous-effectif, et des conseils rémunérés à prix d’or pour entretenir la fiction du serpent de mer Carrefour. Pendant que ces flux financiers étaient détournés, que les bilans étaient enjolivés, et que les marchés étaient trompés, des milliers de salariés voyaient leurs conditions de travail se dégrader.
J’ai consacré plus de trente années de ma vie à alerter, expliquer et documenter. J’ai supporté un préjudice considérable financier, moral, physique et familial. Mais aujourd’hui, je ne demande qu’un euro symbolique. Pourquoi ? Parce que ma démarche n’est pas animée par la vengeance. Elle est désintéressée, elle est celle d’un homme qui a toujours protégée la veuve et l’orphelin, les salariés Casino et les milliers d’actionnaires spoliés. Je cherche simplement la reconnaissance claire et publique des faits. Je souhaite que ce Tribunal, par sa décision, reconnaisse que nous n’avons pas été des naïfs, des « cons » ou des spéculateurs imprudents, mais des acteurs de bonne foi, trompés par un système organisé. Je sais la complexité de ce dossier. Je mesure le courage qu’il faut à une juridiction pour démêler trente années d’opérations financières, d’arrangements politiques et d’omissions calculées sur la base de l’infime période que vous avez à juger (celle de l’arbre qui cache la forêt). Mais je crois profondément que la justice n’est pas impuissante. Elle peut (et elle doit) rétablir la vérité des faits, même face à des puissances financières considérables, allant jusqu’à la certification par des personnes peu scrupuleuses du faux bilan 2022. Monsieur Naouri a refusé jusqu’au bout toute alternative, toute transparence, tout partage de pouvoir, qui aurait pu peut-être sauver le Groupe Casino. Aujourd’hui, les victimes sont là : salariés, actionnaires, investisseurs, dont des milliers de petits porteurs qui n’ont plus les moyens, l’âge ou la force de demander réparation après avoir perdu leurs économies d’une vie de labeur.
Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs, Je vous demande simplement de nommer les choses avec précision et rigueur, de reconnaître les manipulations et leurs auteurs, et de dire, par votre jugement, que la vérité n’est pas soluble dans des bilans maquillés. C’est pour cette raison que, quelle que soit votre décision, par égard à toutes les personnes ruinées, les salariés et les actionnaires, je souhaiterai l’exécution provisoire de la sentence.
Annexes
Pour compléter mon exposé, je vous ai choisi, Mme la Présidente, Mesdames, Messieurs les membres du Tribunal, quelques extraits des mémoires de Geoffroy Guichard. Geoffroy Guichard avait des principes très forts, j’en ai extrait quelques illustrations au goût du jour, que je vous laisse en annexe. En mars 1927, il écrivait : « Que reste-t-il de nous après notre départ de ce monde ? Combien de temps notre souvenir vivra-t-il chez nos enfants et nos petits-enfants ? De quelle utilité pourrait-il être pour eux et pour leurs descendants l’expérience acquise par leurs pères et leurs ancêtres au cours de leur existence ? Si j’en juge par ce que je vois autour de moi, ce souvenir n’aura qu’une bien faible durée. Les morts vont vite. Je n’ai qu’un souvenir très vague de mes grands-parents, et si je remonte d’une génération de plus, je ne sais presque rien. Combien précieux seraient ces documents pour nos enfants, petits-enfants et descendants que nous ne connaîtrons pas ! Quelle satisfaction de penser que des êtres issus de nous-mêmes pourraient ainsi garder vivant la physionomie, les pensées et les sentiments de leurs ancêtres ! Ces notes sont écrites au jour le jour, sans souci d’une méthode parfaite, ni aucune prétention littéraire. À défaut du document vécu, il m’a paru intéressant de donner quelques conseils qui pourront rappeler à tous de s’emparer de l’exemple donné et de conserver dans la famille les principes d’honnêteté, de probité et de travail. Dans toutes les discussions d’affaires, il faut se mettre au préalable dans la peau des personnes avec lesquelles on doit discuter.
Un principe : ne jamais entreprendre d’affaires nouvelles sans avoir la certitude de pouvoir faire face facilement aux nécessités de la trésorerie. Au conseil de gérance, les deux tiers au moins doivent être des commerçants. Le nombre de techniciens ne devra pas dépasser un tiers. Pendant mes vacances, je relis l’histoire de Wall Street. C’est un ouvrage que tous les commerçants et les capitalistes devraient lire. Cela les dégoûterait et les détournerait à jamais de la spéculation en bourse. Jamais une opération autre qu’au comptant ne devrait être tolérée. Les opérations à terme, avec prime, devraient être interdites. Spéculer en bourse, quand on n’est pas un initié, c’est comme acheter une vache à la chandelle. Que le commerçant qui dépense la totalité de ses bénéfices soit condamné un jour ou l’autre à la faillite. Que le bénéfice résultant de la hausse des titres ou de la valeur n’est pas un bénéfice et on ne doit jamais l’escompter. C’est seulement après la réalisation que l’on peut apprécier le résultat. Il ne faut cependant pas oublier la fable du bœuf et de la grenouille. Accroissons nos affaires régulièrement et sérieusement, au fur et à mesure que nos disponibilités le permettent. Un conseil : méfiez-vous des banques et des milieux parisiens. Restez provinciaux. Ne transportez jamais votre siège social et vos bureaux à Paris, car ce serait le pire qui puisse arriver.
Janvier 1934. Au point de vue de la situation politique en général, les fautes de notre gouvernement font craindre une nouvelle inflation et peut-être un soulèvement de l’opinion publique qui, écœurée par la protection accordée à des financiers véreux par la police et les milieux politiques absolument corrompus, risque de propulser la France dans une guerre civile. La situation de notre pays est angoissante et dangereuse pour nos affaires. L’avenir est d’autant plus sombre que les partis modérés sont divisés et composés de multiples groupes dont les chefs se jalousent et ne songent qu’à leur satisfaction et à leur ambition personnelle.
Avril 1934. La République des camarades est en pleine vogue. Il faut jouir, peu importe l’origine de l’argent. Les pires fripouilles, si elles paient, sont protégées et échappent au châtiment. Nous allons vers une catastrophe honteuse. Quand Paris s’est révolté le 6 février 1934, cette journée marquera l’histoire de notre pays.
Janvier 1935. Aujourd’hui, les docks Remois qui ont cru devoir faire appel à la Banque Lazare pour améliorer leur trésorerie sont dans une situation précaire. La société fondée par M. François est à la veille du dépôt de bilan. L’orgueil rend fou l’homme qui ne sait pas rester maître de lui-même et résister à ses tendances et à ses passions. »
