Les hypermarchés ne sont pas morts Monsieur Joël Bourdin

Dans un article intitulé « Le déclin de la grande distribution : un mal pour un bien ? », le sénateur Joël Bourdin, également président de la délégation à la prospective du Sénat et auteur du rapport « Commerce électronique – L’irrésistible expansion » du 18 janvier 2012, laisse entendre dans un article de la version web en date du 14 février 2012 des Echos que « Les grandes surfaces vont affronter deux périls mortels : l’e-commerce et le commerce de proximité. »

Des magasins « Clic et mort tard » !
Evidemment, nous parodions ici le fameux « click & mortar », les magasins sur internet qui devraient supplanter les magasins en mortier, de nos jeunes années… L’histoire du commerce, que les cadres oublient facilement ou ne connaissent tout simplement pas, nous fait savoir que les formes de commerce ne se remplacent jamais. Ce Sénateur devrait le savoir.

« Laisse les morts enterrer leurs morts… » [Luc 9, 57-62]
Nous souhaitions laisser la parole à Michel Choukroun pour une réponse intitulée « Le déclin de la grande distribution »: « Monsieur le Sénateur, il faudra bien un jour arrêter de crier haro sur la “grande distribution” et de chercher tous types d’indicateurs qui démontreraient, par une lecture bien trop rapide, ce fameux déclin tant espéré par certains.
Quelques exemples : vous annoncez, bien justement, que la part de marché de l’hypermarché sur le commerce alimentaire a baissé de 35 à 32% en 10 ans. Mais vous oubliez de préciser que la part des GSA (grandes surfaces alimentaires, hypermarchés et supermarchés) s’est maintenue, dans le même temps autour de 67% (source INSEE, la situation du commerce 2010). Ce sont les mêmes “grands distributeurs” qui exploitent ces deux formules de vente et qui ajustent leurs formats.
Vous évoquez une désaffection des grandes surfaces. Faux, il suffit de se promener dans les centres de périphérie, en province, pour constater un afflux continu de clients. CARREFOUR souffre, certes, mais pas l’hypermarché ; et CARREFOUR ce n’est pas l’hypermarché en France. Bien d’autres enseignes savent les exploiter (LECLERC, AUCHAN, CORA, GEANT, etc.).
Vous mettez bien justement en avant le grand retour de la proximité. Mais qui favorise ce retour en créant de nouveaux concepts qui répondent bien mieux aux nouvelles demandes des consommateurs ? CARREFOUR City, CASINO Shop, U Express, Chez Jean (CASINO et RELAY)… de “grands distributeurs”.
Vous glorifiez les e-players du web en laissant transparaître une satisfaction de les voir fragiliser la “grande distribution”. Vous oubliez de préciser que sur les 15 leaders du e-commerce, plus de la moitié sont des “grands distributeurs” historiques tels FNAC, LA REDOUTE ou CDISCOUNT qui appartient au groupe CASINO (source FEVAD, bilan 2011).
Et, Monsieur le Sénateur, pourquoi faire une dichotomie entre AMAZON et KIABI, par exemple. AMAZON ne fait-il pas partie, lui aussi, de la “grande distribution” ? Il est le leader mondial du e-commerce.
Vous pêchez par méconnaissance du fonctionnement des entreprises de distribution. Leur immense difficulté et leur grande force reposent sur le fait qu’elles se battent sur des marchés extrêmement concurrencés. Elles sont ainsi obligés de rivaliser dans leurs niveaux de prix, dans leurs offres et dans des services sans cesse nouveaux pour fidéliser des clients fortement volages qui arbitrent en permanence leurs dépenses.
Pouvez-vous citer un seul groupe de distribution qui aurait déposé le bilan ces dix dernières années ? Non, tout simplement parce que leur force c’est la remise en cause permanente et l’adaptabilité aux évolutions permanentes de notre monde. On parle de l’industrie ?
Au lieu de sembler vous réjouir sur ce que vous appelez un “déclin” et qui n’est en fait qu’une lecture bien trop rapide, vous devriez vous réjouir des actions de progrès qui sont réalisées dans les villes et les régions par de vrais partenariats entre les “grands distributeurs”, les promoteurs et les élus.
Le dernier Congrès de l’ACFCI (Assemblée des Chambres Françaises de Commerce et d’Industrie) qui a réuni plus de 1.000 personnes à Paris le mois dernier, était éloquent. De grands distributeurs étaient invités aux tables rondes, les déclarations à la tribune allaient dans le même sens : arrêtons de monter les commerçants, de toutes tailles, les uns contre les autres, nous avons tous à gagner d’une complémentarité pour construire les villes et offrir à nos concitoyens le commerce qu’ils demandent et qu’ils méritent.
Monsieur le Sénateur, il n’existe pas du tout de “déclin” de la grande distribution, comme vous cherchez à le démontrer. Bien au contraire, la France a tout à gagner de la dynamique de ce secteur dont l’activité est non délocalisable et dont la dynamique à l’international porte le prestige de la France. Par ailleurs, le rapport de forces qu’ils instaurent avec les grands groupes industriels mondiaux est la meilleure caution pour le contrôle des prix et de l’inflation.
Certes, la situation n’est pas idyllique. Des abus peuvent être constatés dans le comportement de certaines entreprises de “grande distribution”, ce qui est bien regrettable. Evitons les généralisations. Qui sait qu’AUCHAN est le premier donateur aux banques alimentaires ? Par éthique, ils refusent de communiquer sur ces actions caritatives. Et n’oublions pas que 50% du commerce de détail en France est détenu par des indépendants regroupés dans des réseaux puissants en franchise ou en coopérative. Ils font eux aussi partie “de la grande distribution” dont vous évoquez le déclin.
Fi des polémiques ! Construisons nos villes et nos régions avec toutes les formes de commerce, petit, grand, en magasin, sur le web, en centre-ville, en abord des villes et en périphérie. “L’ennemi” est ailleurs, c’est celui qui refuse le progrès. »

Michel Choukroun
Consultant en Problématiques de distribution
Professeur affilié à l’Université Paris Dauphine

magasin click mortar Michel Choukroun

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